Chantal Morillon, ses œuvres dans l’époque

Texte écrit Par Catherine Pianel, août 2008

« je pense que j’avais envie de faire un autre travail et je sentais bien que ça allait durer un certain temps ce travail ! »

 Dans les années 70, Chantal Morillon gravite dans le milieu du stylisme. Pour la haute couture, elle crée des maquettes d’impression pour tissus avec, apparemment, peu de contraintes puisque l’on retrouvera, bien plus tard, ses motifs dans certaines peintures. Vivant à Paris, elle ne pouvait ignorer l’effervescence de ces années-là où d’importants mouvements artistiques voyaient le jour (support-surface, art conceptuel, sociologique, corporel…

Filiations

Renonçant au domaine des arts appliqués, Chantal Morillon finit par s’installer à Joigny, dans l’Yonne, où elle est employée dans un centre d’art contemporain. À l’Atelier Cantoisel on expose, notamment, des poètes et plasticiens issus de certains mouvements théoriques des années 70.

Nous sommes alors dans les années 80-90 où émerge, malgré le process art, un net retour à la figuration en peinture (figuration libre, Gérard Garouste…). D’autre part, l’ironie se développe dans des installations et l’art numérique émerge. Dans ces années-là, Chantal Morillon réalise des gouaches sur papier de petit format. Ce sont des scènes figuratives mais oniriques faisant penser à des paysages.

 Et après ?

À l’orée du 21e siècle, Chantal Morillon fait de multiples expériences. Sa peinture est à la recherche de formes, de gestes, de thèmes et de procédés. Sa question est de savoir « comment peindre ? » plutôt que « pourquoi peindre ? ». Elle passe alors du rêve narratif à la matérialité de la peinture qui devient abstraite. Des toiles blanches chargées de matière cohabitent avec d’autres plus colorées, gestuelles, d’où émergent des signes. Nous arrivons en 2001 et, le 11 septembre, des attentats ont lieu aux États-Unis. Une exposition de Claude Viallat s’intitule, de façon énigmatique : « Marseille et après ».

Ailleurs

Jusqu’en 2005, Chantal Morillon fait ses Écritures. Ce sont des peintures à base de motifs répétitifs particulièrement raffinés. Sur la scène artistique internationale, il est question de nouvelles spiritualités. Vera Molnar et Julije Knifer sont réunis dans une exposition intitulée « Signes et méandres », Cy Twombly réalise une rétrospective, Marc Desgrandchamps montre ses mélancolies et l’Institut du Monde Arabe affiche « Le ciel dans un tapis ».

 Le vivant

 Avec les Corps, à partir de 2006, Chantal Morillon abandonne ses Écritures et s’ouvre à la sculpture avec les Poupées, au moment où est inauguré le Musée des Arts Premiers à Paris. En 2008, elle aborde la statuaire avec les Personnages alors que l’on redécouvre l’œuvre de Louise Bourgeois au Centre Pompidou.

LES INVENTIONS PARADOXALES DE CHANTAL MORILLON

À ce jour [2008], l’œuvre de Chantal Morillon se cristallise autour de trois principaux axes. Sa véritable entrée sur la scène artistique a eu lieu, me semble- t-il, en 2003 lors de l’exposition de ses petites Écritures présentées dans des boîtiers pour disques compacts. Ce travail, interrompu en 2004, sera relayé par les Corps et les premières sculptures à partir de 2005. Une série de statues ou Personnages débutera l’année 2008.

Rythme et couleur

Les Écritures prirent leur essor après de multiples essais de quelques années. Ce travail est donc loin de la spontanéité presque naïve qu’un spectateur peu averti pourrait déceler. Il y eu plusieurs séries d’Écritures.

Vue d'ensemble des Miniatures de Chantal Morillon
Vue d’ensemble des Miniatures de Chantal Morillon

La plus intense est réalisée sur des carrés de soie blanche de 12 cm², à la gouache, en utilisant un très fin pinceau. Certaines pièces sont minutieusement effrangées. Mais toutes se présentent au mur, à l’intérieur de boîtiers transparents. Des motifs répétitifs plus ou moins reliés entre eux sont géométriques, figuratifs ou purement graphiques. Il y a la fascination pour un supposé « monologue intérieur » et pour le vibrato des couleurs finement mélangées. Dans les formats plus amples que Chantal Morillon appelle « panneaux », la séparation des motifs disparaît au profit d’un champ coloré presque hallucinatoire qui fait bouger les lignes.

Le décoratif rend la peinture et la vie plus belle. Tout simplement, rejoignant Matisse et Dufy, Chantal Morillon veut ce qu’on appelle « faire plaisir ».

Trouver une forme

En 2005, à l’aide de ciseaux et sans dessin préalable, Chantal Morillon taille, d’un geste décidé, des formes irrégulières dans la toile. Il y a des formes très échancrées qui, une fois qu’elles sont épinglées au mur, ont l’apparence, dit-elle, de volatiles. D’autres, plus pleines et qui deviennent récurrentes, adoptent le titre générique de Corps. En fait, il s’agit de bustes féminins prolongés par les cuisses. Avec des feutres permanents, un réseau de lignes colorées évoque la circulation sanguine ou, plus superficiellement, un sous-vêtement de dentelle. La peinture atteint le paroxysme de l’ambiguïté : elle cache et révèle. Proche en cela de sa fonction sacrée et sociale. On pense au tatouage, au camouflage où le dessus et le dessous, l’endroit et l’envers se confondent. Chantal Morillon nous offre ainsi une nouvelle lecture des papiers découpés de Matisse tout en nous renvoyant aux techniques traditionnelles de la peinture.

Chantal Morillon-Corps
Corps, Promarker Letraset sur toile, vue après découpe.

Concentration, expansion, lumière

 En 2006, Chantal Morillon réalise ses premiers volumes. Ce sont des bandes de soie cousues, suspendues et surtout plissées qu’elle nomme Poupées. À la recherche de figures, deux ans après, surgit un ensemble de statues ou Personnages qui prennent solidement appui sur le plan horizontal. Une bouteille en plastique remplie d’eau sert, à la fois, de socle et d’armature à l’enroulement d’un papier finement plissé industriellement (nommé manchette de pot de fleur). Après le « modelage », les Personnages sont peints de façon monochrome à l’aide d’une large brosse qui écrase ou ouvre les plis.

Chantal Morillon-Statues
Exposition 2013, salle Voûtée du château des Gondi, Joigny

La peinture est donc maîtrisée par le pli et accompagne la lumière. Curieusement, la peinture est plus que jamais elle-même quand elle en passe par la sculpture.

Catherine Pianel août 2008