A propos des petites gouaches de Chantal Morillon

Auteur : Catherine PIANEL, août 2003

  • Chantal Morillon, Miniatures (Écritures)

J’ai découvert le travail de Chantal Morillon, en 2002, à l’occasion d’une exposition collective d’artistes contemporains icaunais au Centre du Tremblay à Fontenoy (Yonne). Face à ses grandes toiles, j’ai su d’emblée que j’avais sous les yeux l’œuvre en devenir d’un véritable peintre dont la touche, la pâte picturale, l’énergie et l’authenticité m’avaient convaincu.

En 2003, à l’Atelier Cantoisel à Joigny (Yonne) où Chantal Morillon exposait en compagnie d’autres artistes, un tout récent travail m’attendait. Pour l’essentiel des œuvres présentées, d’extrêmes petits formats concentraient avec une puissance accrue toutes les qualités qui m’avaient subjuguée l’année précédente.

 Chantal Morillon est donc peintre

En témoignent quelques-uns de ses plus récents travaux que j’ai vus en 2003, aux murs de l’Atelier Cantoisel : plusieurs séries de gouaches sur crêpe de Chine dont les dimensions se réduisaient à des carrés approximatifs de 12 x 12 cm.

Que chacune de ces peintures soit toujours présentée à l’intérieur d’un boitier transparent suspendu au mur ou posé sur une table ne semble pas essentiel à la compréhension de son œuvre. Ainsi tout autre mode d’accrochage ou de présentation serait acceptable dès lors qu’il saurait préserver la peinture des attaques du temps.

L’essentiel revient donc à la peinture, qu’il s’agisse d’une gouache vue isolément ou de plusieurs juxtaposées autour de vides. L’extrême raffinement du support presque translucide de la toile minutieusement effrangée (réalisant donc un supplément de cadre) ainsi que la sophistication de la touche supposant l’utilisation de très fins pinceaux alliée à la fraîcheur presque angélique de la matière colorée légèrement déposée contribue à une sorte d’élégance que l’on pourrait qualifier de touche féminine. Et venant conforter cette première impression, la répétition consciencieuse de certains motifs figuratifs évoque parfois des thèmes délicieusement mièvres ou charmants : fleurs, plantes, arbres, oiseaux, papillons délicats. D’autres séries aux motifs géométriques rappellent des broderies de grands-mères ou quelques frises d’écolière désœuvrée.

Cependant lors d’une seconde lecture cet univers ironiquement passéiste et, surtout idyllique ou utopique, est totalement perturbé par l’observation attentive de chaque peinture, aucune ne dissimulant le tremblement du trait ou le repentir. On peut y deviner la recherche inspirée d’une idée plastique profondément ancrée dans l’exprimable et tout ce qui se veut expressionniste sans cesser d’être entièrement déterminée.

 Chantal Morillon nous fait comprendre que sa vie est sa peinture

 Côtoyant cet univers apparemment féminin ou naïf, d’autres séries véritablement hallucinatoires viennent conforter la puissance perturbatrice de l’ensemble : gouaches venant « du dessous des paupières », signes condensés, figures à la géométrie aléatoire et dépouillée jusqu’au silence, traces infinitésimales éparpillées (comme vue d’avion), ponctuations imaginaires entre les lignes horizontales, mots à mi-chemin de la lisibilité et possédant la capacité de se métamorphoser en d’autres mots. Certaines gouaches contiennent des motifs répétitifs évocateurs de notre univers quotidien usines (hommage ironique au labeur du peintre ?), paysages (hommage à l’histoire de la peinture ?), tags et jeux vidéo. D’autres séries encore restitue l’importance du dessin pour le peintre tout en affirmant la réalité quotidienne du travail créateur basé sur l’obstination, la répétition du geste, la concentration d’esprit, l’humilité salutaire et finalement, l’énergie allant jusqu’à la colère d’où surgissent de nouveaux motifs en forme de gribouillis calmes ou excédés.

L’ensemble de ces motifs répétitifs disposés en liges d’écriture horizontales plus ou moins régulière (avec parfois, des « rentrées », des mises à la ligne) restitue le trame orthogonale de la toile et la géométrie propre à la peinture.

 Cependant, lorsque Chantal Morillon dit « j’écris », il faut la prendre au mot car « la peinture à la main » est aussi poésie ou partition écrite mais non reproductible.

Toutefois la richesse de cette  « écriture » si particulière ne prend pleinement son sens qu’en ayant face à soi un grand nombre de gouaches. Devant un ensemble conséquent, le spectateur se mue en archéologue, en linguiste, en chercheur qui, par comparaison des formes, des couleurs et des signes, tend à saisir le sens de ces petites gouaches-textes, comme de la plus grande, celle qui englobe la totalité incomplète car pouvant se déployer à l’infini avec des effets de mosaïque qu’utilise en particulier, l’art musulman mais l’œuvre de Chantal Morillon, de par la marque de son individualité, s’affirme au sein de notre modernité critique.

Ainsi telles « les Rédactions de Fritz Kocher » de Robert Walser, chacune de ces peintures est à la fois, un élément de liberté, d’humour et de révolte : un ensemble sous-entendu par une morale bien particulière qui est celle du peintre authentique devant assumer, entre autres, l’héritage de l’enfance.

Cependant, les petites gouaches de Chantal Morillon ne sauraient être assimilées aux travaux des représentants de l’Art Brut (ou à ceux des schizophrènes), ni au Surréalisme (via l’écriture des œuvres exposées).

Elle restera cependant toujours automatique), ni à l’Arte Povera (par exemple, aux patients travaux d’aiguille de Marisa Merz), ni aux encres de Henri Michaux, ni aux « lologrammes » de Christian Dotremont, ni aux travaux décoratifs de Raoul Dufy, ni aux lignes en liberté de Paul Klee, ni à l’artisanat populaire, ni aux pictogrammes chinois.

Même si la graphie et la couleur énergétiques des toiles de Chantal Morillon ne sont pas sans analogie avec le geste de Picasso, ce récent travail doit s’inscrire au cœur des  recherches actuelles sur la peinture « à la main » où se lit la trace de l’effort obsédant, réalisé au jour le jour, dans « la différence et la répétition ». Et, comme ses contemporains inscrits dans la modernité, les gouaches de Chantal Morillon suivant les lois de l’agencement qui pourraient s’avérer périlleuses si sa peinture n’effectuait un retour au primitivisme dans l’application des couleurs. Préparées à l’avance dans des godets, elles sont en effet appliquées directement (sans utilisation de « dessous ») sur le support enduit. Voici ce qui fait également l’originalité de ces petites gouaches.

Ainsi, comme les miniatures, on ne saurait agrandir l’échelle de ces peintures. Juxtaposées sur une très grande surface, elles n’en restituent pas moins intégralement leur sens plastique.

Pour achever ce rapide compte-rendu des récentes petites gouaches de Chantal Morillon, une autre question s’impose à moi : la grande richesse des motifs, apparemment inépuisable, témoignerait-elle d’une culture autodidacte cherchant à épuiser les savoirs ou bien, signifierait-elle une difficile compréhension de notre mémoire historique ? S’agissant de ce dernier aspect, on mentionnera l’importante exposition du Centre Georges Pompidou en 1989, « Les Magiciens de la Terre », à l’occasion de laquelle j’ai pu découvrir les dessins de l’ivoirien Frédéric Bruly Bouabré.

Cette question ne renferme peut-être aucune contradiction mais elle n’en reste pas moins présente à mon esprit. L’énergie inhérente aux gouaches de Chantal Morillon pourra toutefois inciter le spectateur pressé à dépasser le stade de leur aveuglante et trompeuse légèreté.

Catherine Pianel, août 2003